Lorsqu’un enfant apprend à marcher, il tombe plusieurs fois avant d’y arriver, et nous considérons cela comme normal. Si vous avez un peu de mauvais esprit, comme moi, vous pouvez rire un peu en le voyant chuter. Mais, même si vous êtes vous-même capable de marcher, vous ne penserez jamais « Cet humain est un tel échec ! Être incapable d’une chose aussi basique ? Je le fais tous les jours sans même avoir besoin d’y penser ! ».
Au lieu de cela, vous accepterez qu’il est dans un processus d’apprentissage, que cet enfant se développe et apprend, et que ces chutes font partie du processus.
Pourquoi sommes-nous tellement plus durs avec les adultes ? Si vous n’avez jamais rencontré telle situation, ou tel problème, vous allez tomber et échouer sur le chemin de la réussite. C’est de cette manière qu’on apprend et grandit. Pourquoi cela devrait subitement définir votre valeur en tant qu’être humain ?
Un ami m’a dit un jour : « Depuis que j’ai des enfants, je vois chaque personne comme un enfant en cours de développement. De cette manière, je comprends mieux pourquoi elle fait des erreurs, et je suis beaucoup plus patient avec elle. »
Nous sommes des enfants développement, en croissance et seront toujours inachevés, imparfaits.
Lorsque j’ai commencé à apprendre le roller, la première chose que m’ont appris les patineurs expérimentés était : comment tomber. Et je suis tombée, tombée, tombée, jusqu’à ce que puisse tomber sans me faire mal. C’est la même chose avec l’escalade : dans certains cours de débutants, ils vous forcent à tomber (en toute sécurité) pour que la hauteur ne vous fasse plus peur, et que vous puissiez réagir correctement en cas de chute. Même principe pour le judo… Une fois que vous savez tomber sans vous blesser, vous pouvez commencer à essayer différentes choses, et progresser.
Si vous ne me croyez pas, regardez cet homme. Et regardez surtout la manière dont (généralement) il ne s’écrase pas comme une crêpe.
Bon, je suis fascinée par les personnes qui tombent, mais recentrons-nous sur le coeur de cet article : l’échec comme partie intégrante du processus d’apprentissage.
Quand le corps est impliqué, apprendre comment tomber ou échouer sans se blesser paraît naturel : nous voulons protéger notre corps. Alors, pourquoi n’essayons-nous pas d’être aussi attentionnés quand l’esprit est impliqué ?
À ce stade, nous avons deux éléments importants : échouer est important pour apprendre, et il est important d’apprendre à échouer sans se faire mal.
Regardons comment fonctionne l’école. Généralement, il y a deux types d’activités distinctes. L'Instruction Directe est l’activité la plus classique. Vous avez un professeur, généralement humain, expliquant comment les choses fonctionnent, comment résoudre des problèmes, démontrer des formules etc. Le savoir vous est directement transmis.
Vous avez également des phases de Résolution de Problèmes, pendant lesquelles vous vous trouvez confronté à des problèmes que vous savez plus ou moins résoudre, et que vous explorez seuls, parfois avec un peu d’aide. C’est généralement une phase beaucoup plus active pendant laquelle vous testez les limites de votre savoir et de vos compétences.
En pratique, nous utilisons généralement les deux, parce que les deux sont importantes. Comment cela se passait-il dans votre école ? Dans la mienne, nous commencions le plus souvent par un temps d’Instruction Directe, durant lequel nous apprenions de nouveaux concepts. Nous avions ensuite un temps de Résolution de Problèmes qui nous permettait d’appliquer les concepts appris et de renforcer notre compréhension globale. Cette façon de faire est appelée I-PS (pour « instruction » suivi de « problem solving » : en français, instruction directe suivie de résolution directe).
Mais imaginons l’inverse ! Commencer par résoudre des problèmes, avant même de commencer à apprendre les concepts permettant de les résoudre ? Ça vous paraît un peu alambiqué, non ? Peut-être bien. Mais n’écartons pas cette idée trop rapidement.
Dans Metaphors of Learning, nous avons décrit un exemple précis de cette idée. Imaginons que nous construisons un nouveau jouet. Évidemment, nous voulons que des gens jouent avec. L’une des options s’offrant à nous est de montrer à la personne comment jouer avec ce jouet, et ensuite de la laisser jouer seule, dans une approche I-PS. Quand cette personne essaiera seule, elle commettra probablement quelques erreurs, mais finira par y arriver.
Mais une autre option serait de nous contenter de donner le jouet à la personne, et de la laisser le découvrir par elle-même. Elle l’utilisera de la mauvaise manière, et de diverses façons que nous n’aurions jamais pu imaginer, et n’arrivera probablement jamais à l’utiliser de la manière prévue. Après cela, nous lui montrons comment manipuler correctement le jouet pour utiliser tout son potentiel, comme avec l’approche PS-I.
Dans quel cas pensez-vous que la personne créera le lien le plus fort avec le jouet ? Ou comprendra le mieux le potentiel du jeu ? Ou découvrira le plus d’interactions créatives avec le jouet ? Dans cet exemple, je penche plus vers l’approche PS-I.
Alors peut-être que cette approche a du sens, finalement ! Inspiré par cette idée, le Professeur Manu Kapur a créé le concept d’Échec Constructif [Kapur 2012]. L’idée de l’Échec Constructif est de commencer par offrir aux étudiants un espace soigneusement créé pour leur permettre d’explorer un problème, avant de leur montrer la solution à ce problème. À quoi ressemblerait l’Échec Constructif dans un cours de maths ? Le professeur ne commencerait pas son cours par « Voici la formule pour la déviation standard, utilisez-là pour résoudre les exercices de la page 124 ». Non, à la place, le professeur offrirait différents set de données à ses étudiants, comme la performance de joueurs de foot sur les deux dernières années, puis demanderait « Quel joueur a été le plus régulier ? Pouvez-vous trouver un moyen de calculer cela ? » [Kapur 2014]. Avec cette approche, les étudiants doivent se demander ce que la régularité signifie pour eux, puis parcourir les données jusqu’à ce qu’elles livrent leurs secrets. Dans la plupart des cas, les étudiants ne trouveront pas la formule standard. En revanche, ils parviendront à une excellente compréhension du problème. Et quand le professeur leur présentera la formule correcte, ils pourront non seulement la comprendre au niveau conceptuel, mais également être capable de la réutiliser en dehors d’un cours de maths [Kapur 2014].
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Est-il important que vous soyez celui qui échoue ? Par « indirect », on entend « vécu dans l’imagination à travers les sentiments ou les actions d’une autre personne ». Donc l’Échec Indirect est l’expérience de l’échec via une autre personne. Par exemple, si je vois un skater tomber après avoir roulé sur un innocent gravillon, est-ce suffisant pour que j’apprenne que les gravillons sont en fait… Méchants ? Qu’en pensez-vous ?
Et bien dans l’étude [Kapur 2014], l’Échec Indirect était généralement légèrement plus efficace que l’Instruction Directe utilisée seule. En revanche, il était toujours moins efficace que l’Échec Constructif. Cela signifie que voir quelqu’un échouer ne vous apprendra pas autant de choses qu’échouer vous-même. Je pense que les parents lisant ce blog le savent déjà : peu importe combien de fois vous expliquez à votre enfant que quelque chose fait mal, peu importe combien de fois votre enfant en voit un autre se faire mal en faisant cette chose, il n’arrêtera pas d’essayer tant qu’il ne se sera pas fait mal lui-même.
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L’échec est important pour l’apprentissage. Étudier un problèmes à partir de différents angles, différentes perspectives, vous donne une meilleur compréhension de ce sur quoi porte le problème, même si vous ne parvenez pas forcément à trouver de vous même une bonne façon de la résoudre. Je trouve cela très intéressant, et je pense que d’une manière générale l’échec devrait être mieux géré en classe. Les erreurs sont toujours considérées comme honteuses par de nombreuses personnes, et cela freine leurs apprentissages. J’ai rencontré des gens diplômés de grandes écoles, qui sont terrifiés par l’échec et ne parviennent pas à appliquer leurs connaissances dans de nouveaux contextes.
Il y a une chose qui m’agace un peu : les études sur l’Échec Constructif n’évalue généralement que le fait que l’étudiant ait appris ou non, et dans quelle mesure il l’a bien fait. Je n’ai en revanche jamais vu d’étude dans laquelle la façon dont se sent l’étudiant est pris en compte. En particulier : les étudiants se sont-ils sentis en situation d’échec quand ils n’ont pas trouvé la formule par eux-mêmes ? Et si oui, qu’ont-ils ressenti face à cet échec ? Selon moi, si un étudiant apprendre mieux, mais que le processus d’apprentissage le fait se sentir mal, ce n’est pas une victoire.
Watching in horror as you witness users try your product for the first time pic.twitter.com/1vcMP2njg9
— 10x designer (@darylginn) July 18, 2019
xoxo,
The Diverter
Pour aller plus loin :
Regardez Manu Kapur describe décrire son travail sur l’échec constructif à TEDx Lugano 2019 :
Et si la notion d’échec non-constructif vous intéresse, lisez [Kapur 2016].
Notes :
[1] Sentez vous libre de réutiliser ces dessins en classe d’SVT pour expliquer comment les bébés sont conçus...
Références :
[Kapur 2012] Kapur, M., & Bielaczyc, K. (2012). Designing for productive failure. Journal of the Learning Sciences, 21(1), 45-83.
[Kapur 2014] Kapur, M. (2014). Productive failure in learning math. Cognitive Science, 38(5), 1008-1022.
[Kapur 2016] Kapur, M. (2016). Examining productive failure, productive success, unproductive failure, and unproductive success in learning. Educational Psychologist, 51(2), 289-299.