Les Métaphores de l'Apprentissage
De l’importance de parler d’apprentissage & comment le faire
Nous sommes tous des experts de l’apprentissage. Nous apprenons depuis notre naissance, pour survivre, pour grandir, pour nous adapter. C’est à la fois une motivation pour agir, et une conséquence de cette action. On nous envoie à l’école pendant des années, on nous demande d’apprendre de nos erreurs, et d’expérimenter de nouvelles choses pour apprendre toujours plus. Mais nous avons beau être d’excellents apprenants, comprenons-nous réellement de quelle manière cela fonctionne ? Il y a quelques semaines, j’ai demandé à des gens sur internet de représenter par un dessin leur vision de l’apprentissage. Je voulais en savoir plus sur la manière dont les gens se représente l’apprentissage, et plus précisément encore : ce qui est important pour eux dans l’apprentissage.
Hello Internet!
— the diverter_ (@TheDiverter) November 26, 2019
As I am writing the first article on learning, I need your help. Let's play a little game: take a sheet of paper, and draw what learning is to you. Then send it my way! There is no correct or wrong answer (really), it's just about your vision.
RT appreciated! pic.twitter.com/MUSpu9NMTw
Si vous n’avez pas participé, je vous conseille d’interrompre votre lecture, et d’essayer vous-même. Comment représenteriez-vous l’apprentissage ? Pour vous, à quel moment et de quelle manière s’effectue l’apprentissage ?
Ok, on y retourne ! La première chose que j’ai remarquée, c’est à quel point il peut être difficile pour les gens de répondre à cette question : pas seulement en dessinant, mais également en discutant. Quand j’ai demandé pourquoi, les gens m’ont souvent répondu « l’apprentissage est trop abstrait ». Nous avons discuté un peu plus à ce sujet, et réalisé que cette abstraction pourrait ne pas être le seul problème, parce que nous sommes capables de parler de beaucoup de choses abstraites : pensez à l’amour, par exemple, ou au goût, à l’art, ou à ce que cela signifie d’être humain. Mais nous sommes nombreux à ne pas réellement parler de l’apprentissage. Nous demandons aux enfants s’ils ont appris quelque chose à l’école aujourd’hui. Nous râlons, après une présentation médiocre, que nous n’avons rien appris. Mais nous n’allons généralement pas plus loin. Je me souviens qu’au lycée, quand un professeur nous a dit que nous allions avoir une conférence sur la manière d’apprendre, nous l’avons regardé bizarrement : nous savons comment apprendre, nous le faisons tous les jours, qu’est ce qu’il pourrait y avoir de plus à savoir ?
Mais en grandissant, nous découvrons des choses sur notre manière d’apprendre, et nous réalisons que nous apprenons plus facilement certains sujets que d’autres. Cela signifie-t-il que le professeur est incompétent ? Ou bien que nous ne sommes pas fait pour ces sujets ? Ou y a t-il quelque chose qui influence la manière dont nous essayons d’apprendre, ainsi que la manière dont le sujet est enseigné ? Si vous essayez de construire une maison, mais que le sol est instable, et l'échafaudage inadapté, vous risquez de rencontrer des difficultés beaucoup plus grandes que prévu.
> the extra bit_
En vérité, parler d’apprentissage est difficile. Comprendre ce qu’est l’apprentissage est difficile. En sciences de l’éducation, exactement comme en physique, notre but est de construire des modèles qui permettront de prévoir certains résultats. Par exemple en physique, nous voulons pouvoir dire des choses comme « Si j’applique telle force ici, cet objet accélèrera de tant », pour pouvoir envoyer des fusées vers la lune, ou d’autres trucs du genre. En sciences de l’éducation, nous voulons pouvoir dire des choses comme « Si je donne tel exercice à cette personne, elle apprendra telles choses », pour que les gens puissent être capable d’envoyer des fusées sur la lune.
Le problème, c’est qu’en physique, les éléments importants sont généralement mesurables : il est possible de mesurer à quel point un objet bouge lorsqu’une force lui est appliquée. En sciences de l’éducation, ce n’est pas si simple. Nous ne pouvons pas mesurer de manière fiable tout ce que quelqu’un a appris. Nous pouvons évaluer l’apprentissage avec des tests, mais si vous avez au moins une fois dans votre vie passé un examen, vous savez bien qu’il est possible d’avoir une excellente note tout en étant parfaitement incapable de réutiliser les notions apprises. Nous pouvons également utiliser l’imagerie cérébrale, pour voir de quelle manière le cerveau est transformé par l’apprentissage, mais nous sommes très loin d’avoir des mesures suffisamment précises pour comprendre réellement ces mécanismes. En outre, en sciences de l’éducation, des êtres humains sont impliqués, et cela signifie que nous devons être particulièrement vigilants à l’influence que nos méthodes de mesure peuvent avoir sur la personne qui est évaluée. Mais le fait que ces choses soient difficiles à mesurer ne veut pas dire que nous ne devons pas les étudier !
Bon, pour démêler tout ça, nous avons besoin de commencer quelque part. En recherche, il y a deux métaphores principales en ce qui concerne l’apprentissage, et donc deux manières de parler d’apprentissage [Sfard 1998]. En premier lieu, la métaphore de l’acquisition : l’idée que le savoir est quelque chose qui s’acquiert et se possède à titre personnel. C’est ce qu’on utilise (sans le savoir) lorsqu’on dit des choses comme « Cette notion est acquise ». Cette métaphore est vraiment centrée sur l’individu : vous possédez un savoir, vous acquérez un savoir, vous devenez le propriétaire de nombreux savoirs différents. Ces savoirs sont incomplets, un peu bancals, mais ce sont les vôtres.
En second lieu, la métaphore de participation : l’idée ici est que le savoir est quelque chose de beaucoup plus grand que l’individu, et que nous y contribuons tous. Par exemple, cette métaphore accepte que personne ne comprend entièrement les mathématiques, et que personne n’y arrivera jamais. Mais, en tant que communauté, nous pouvons augmenter notre compréhension du sujet. Lorsque vous apprenez les mathématiques, vous rejoignez en fait la communauté des mathématiques, et participez à sa quête.
Pourquoi est ce que tout cela est important ? Et bien, imaginons l'influence d’un tel vocabulaire dans les écoles, par exemple. Avec la perspective de l’acquisition, l’idée est, avec l’aide des autres, de construire et faire grandir son propre savoir. Chaque personne a sa propre petite copie des Maths™, qui inclut des variations découlant d’expériences passées avec ce sujet. Aller à l’école signifie construire une sorte de boîte à outils dans votre tête et dans votre corps. Maintenant, si nous regardons cela à travers le prisme de la participation, aller à l’école signifie être connecté à une communauté, par exemple la communauté des mathématiciens. Le professeur est un membre expérimenté de cette communauté, et à travers l'apprentissage chacun a une chance d’augmenter le savoir de la communauté et de faire progresser la recherche. La motivation est totalement différente ! Dans le premier cas, nous augmentons notre savoir pour devenir nous-même plus puissant. Dans le second, nous augmentons le savoir de la communauté pour accroître sa portée.
Ce changement de métaphore a en particulier des conséquences sur la manière dont nous percevons les paramètres de l’apprentissage, listés dans le tableau ci-dessous.
Dans mon cas, la métaphore de participation me paraît souvent plus censée. Penser de cette manière m’aide vraiment à apprendre plus efficacement. Mais en recherche, ces deux métaphores restent utiles, car elles expliquent plus ou moins facilement différentes phases et différents effets de l’apprentissage. Dans un sens, elles sont complémentaires. [1]
> the extra bit_over_
Bon, mais vous, l’apprentissage, ça vous a fait penser à quoi ? Et bien en premier lieu, la plupart d’entre vous n’a pas mentionné explicitement un professeur (dans sa définition la plus communément admise), ni une école. Je trouve ça intéressant, parce que même si les deux sont prévus pour nous aider à apprendre, nous sommes tout à fait conscients qu’ils ne sont pas nécessaires. Alors que reste-t-il ? Qu’est-ce qui est important pour l’apprentissage ?
Pour Végé et Fraisier, l’apprentissage est comme un jeu vidéo. Vous gagnez de l’expérience, et en utilisant cette expérience vous pouvez acquérir de nouvelles compétences, ou atteindre des niveaux supérieurs. Il s’agit d’une progression : un processus continu. Mais il s’agit également de débloquer de nouvelles possibilités : un bon en avant vers un nouveau niveau. Je pense que c’est plutôt chouette, peut-être que vous l’avez ressenti aussi : vous apprenez de plus en plus de choses sur un sujet, et subitement, un jour, POUF, vous découvrez que vous pouvez réellement utiliser ces connaissances pour faire des choses concrètes dans votre vie. Exactement comme lorsque vous gagnez un niveau dans un jeu vidéo, et que vous accédez à de nouveaux sorts, de nouvelles armes : vous obtenez de nouvelles façons d’interagir avec le monde.
Si nous restons encore un peu dans le contexte des jeux vidéo, je dirais que jouer à un jeu est une expérience d’apprentissage. Vous commencez avec très peu de compétences, et vous retrouvez parfois face à des niveaux qui vous paraissent impossibles, mais avec de la pratique, vous arrivez finalement à les terminer, et finissez même par les trouver faciles. Je suis toujours stupéfaite par la concentration et la résilience dont nous pouvons faire preuve lorsque nous jouons à un jeu vidéo.
Papert said it best-Every maker of video games knows something that the makers of curriculum don't seem to understand. You'll never see a video game being advertised as being easy. Kids who do not like school will tell you it's not because it's too hard. It's because it's boring. https://t.co/LPvR6TZ74i
— 𝓢𝓮𝓪𝓷 𝓜. 𝓐𝓻𝓷𝓸𝓵𝓭 (@seanmarnold) January 5, 2020
Et l’une des choses parfaitement incluse dans les jeux vidéo, c’est l’importance de l’échec. Pour Nulk et Gwen, apprendre est un processus qui inclus l’échec, soit comme un recul dans l’apprentissage, soit comme une étape nécessaire pour apprendre efficacement.
De fait, instinctivement, cela paraît logique. Imaginez que quelqu’un vous donne un jeu. Imaginez à présent que cette personne vous dise « Voilà comment terminer ce jeu », et vous montre la solution. Vous sauriez de fait comment terminer le jeu à ce moment là, mais en seriez-vous toujours capable des mois plus tard ? À présent imaginez que cette personne vous donne juste le jeu, et vous laisse vous débrouiller pour en trouver la solution, au rythme de vos propres essais et échecs, en vous apportant de l’aide en cas de besoin. Si vous deviez rejouer à ce jeu bien plus tard, comment pensez-vous que cela se passerai ? Bien mieux que dans le premier cas, il me semble.
Un esprit curieux pourrait se demander : est-il important que je sois la personne qui échoue ? Par exemple, que se passe-t-il si je regarde quelqu’un essayer et échouer ? Cela aurait-il le même impacte que si j’essayais et échouais moi-même ? Je vous laisse y réfléchir, et nous reviendrons sur ce sujet dans un prochain article sur l’échec !
Beaucoup d’entre vous ont également mentionné l’importance de découper le problème en morceaux. Par exemple, quand L34 voit quelque chose qu’elle ne comprend pas, elle décompose cette chose en plus petits morceaux, et apprend en expérimentant avec. Elle ne comprend peut-être pas tout, mais au moins elle obtient ainsi une meilleure idée du fonctionnement global.
Pour Šaljivac, l’apprentissage est itératif, jusqu’à réussir à trouver le chemin optimal pour atteindre la solution, comme pour le problème du voyageur de commerce existant en informatique. Plusieurs chemins mènent à la destination, mais l’un d’entre eux est optimal. Ne pas prendre ce chemin ne signifie pas que vous avez tort, mais qu’il y a encore des possibilités d’apprentissage.
Qu’est ce que cela nous raconte ? L’apprentissage est quelque chose qui peut être décomposé, qui peut être itératif, et avec lequel on peut expérimenté. Je pense que c’est une chose importante à retenir. Nous ne devons pas (et généralement nous ne pouvons pas) trouver une solution optimale dès le premier essai. Et ça ne pose aucun problème. Je dirais même que c’est important : à chaque fois que nous prenons un nouveau chemin pour affronter le problème, nous avons une chance de trouver une nouvelle approche, et d’atteindr une nouvelle compréhension du problème.
Bon, mais tout cela est totalement interne, il s’agit de la manière dont chacun apprend par lui-même. Si nous regardions le tableau d’ensemble ? Quels facteurs externes rendent l’apprentissage possible ? Si vous regardez le dessin d’Ortie, vous pouvez constater que l’apprentissage est soutenu par des recherches, des spécialistes, mais également un environnement. Toutes ces choses sont importantes, mais je veux me concentrer un peu sur l’environnement, car il est fondamental. Par exemple, imaginez que vous vouliez apprendre à distinguer les différentes espèces d’arbres. À quel endroit apprendrez-vous le mieux ? Dans une salle de classe, ou au milieu d’une forêt ? Ou disons que vous voulez apprendre à faire du trapèze. Préféreriez-vous commencer au dessus d’un matelas, ou au dessus du sol ?
Pour poursuivre sur ce sujet, Zmaj nous explique avec son adorable dessin de quelle manière, chez les mangoustes naines, les parents apprennent à leurs enfants à chasser. Ils commencent par chasser une proie eux-même, et la blesse légèrement, en lui abîmant une patte par exemple. Puis ils donnent cette proie blessée à leurs enfants, pour que ces derniers puissent apprendre à chasser avec une cible facile. Bon, après avoir écrit cela, je ne sais plus vraiment si c’est mignon ou perturbant, mais bon, c’est comme ça.
Pour finir, du point de vue de Bouh, l’apprentissage est comme mettre de nouvelles lunettes. J’aime beaucoup cette comparaison : l’apprentissage transforme votre vision du monde.
À présent, je dois jouer aussi ! Et vous dire comment je représente mon apprentissage. Quand j’étais petite, j’imaginais l’apprentissage comme un empilement. J’avais ces blocs que j’ajoutais dans ma tête, un nouveau bloc se posant par dessus le tas déjà formé par les précédent. Les blocs avaient différentes formes et dureté, selon le sujet étudié. Un bloc qui restait inutilisé pendant une longue période pouvait disparaître. C’était très effrayant pour moi, parce que je pensais que tout s’écroulerait s’ils disparaîssaient.
En grandissant, les choses ont changé. J’ai commencé à considérer le savoir comme des opportunités de connexions. Avec cette perspective, savoir quelque chose signifie juste que je peux connecter cette chose à d’autres sujets plus facilement [2]. Oublier quelque chose signifie donc que la connexion perd de sa force, mais ne veut pas dire que tout le reste s’effondre et est détruit. Je trouve cette façon de voir les choses beaucoup plus proche de mon expérience, mais également beaucoup moins stressante.
Toutes ces représentations font écho à des sujets et des questions extrêmement intéressants des Sciences de l’éducation. J’irais plus loin sur ces sujets dans les articles suivants, pour vous aider à améliorer votre manière d’apprendre, mais également votre manière d’enseigner. À présent, racontez-moi, s’il vous plaît ! Avez-vous déjà eu une expérience d’apprentissage incroyable ? Quelque chose que vous avez compris et qui a changé votre perception du monde ?
xoxo,
The Diverter
PS : J’aimerais remercier toutes les personnes m’ayant envoyé leurs contributions pour cet article, y compris @Extraits_deVie et @meresauvage. J’étais ravie de découvrir vos dessins, et je pense qu’ils ont permis de bien couvrir le sujet !
Pour aller plus loin :
L'Âge de diamant - Neal Stephenson.
Ce livre a vraiment aiguisé ma curiosité pour l’apprentissage lorsque j’étais adolescente. J’ai toujours aimé enseigner, mais je n’avais jamais vraiment creusé la théorie derrière l’enseignement jusqu’à ce que je le lise. L'Âge de diamant décrit également le rôle que la technologie peut jouer dans l’apprentissage, et la manière dont cela peut impacter les gens.
J’ai également ajouté ici d’autres dessins reçus. Je n’avais pas la place de parler de chacun en détails, mais je pense qu’ils sont également très intéressants ! Vous pouvez les parcourir pour voir à quel point les perspectives sont variées sur ce sujets.
Notes :
[1] Pour ceux d’entre vous qui aiment coder, j’aime voir cela comme une relation de type Java contre Haskell, par exemple. Certains problèmes vont être triviaux à résoudre avec Haskell, mais trop complexes avec Java. Et parfois, ce sera l’inverse.
[2] Un peu comme la façon dont les forces intermoléculaires peuvent faire en sorte que deux molécules se connectent l'une à l'autre.
Références :
[Bransford 2000] Bransford, J. D., Brown, A. L., & Cocking, R. R. (2000). How people learn (Vol. 11). Washington, DC: National academy press.
[Sfard 1998] Sfard, A. (1998). On two metaphors for learning and the dangers of choosing just one. Educational researcher, 27(2), 4-13.